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MALI : Geopolitique du Sahel

Caractérisé par la conjugaison de plusieurs facteurs endogènes d’instabilité (États faillis, terrorisme, rébellion touarègue, trafics en tous genres, migration clandestine, pauvreté extrême de la population), le Sahel connaît un nouveau contexte géopolitique avec la montée en puissance des groupes terroristes.

Le Sahel est caractérisé par des logiques de chaos risquant d’engendrer une déstabilisation durable de la région, mais aussi, par effet induit, du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. Le Sahel africain concentre tout un système de conflits qui, à la moindre étincelle, éclatent en chaîne. Il s’agit en l’occurrence d’une succession de crises intérieures s’inscrivant dans des dynamiques transnationales. En toute vraisemblance, la situation ne saurait subsister indéfiniment. La révolte touareg au Nord Mali constitue en cela un point de rupture.

Le Sahel est grande bande désertique mesure 5 500 kilomètres de longueur qui s’étend sur 400 à 500 kilomètres de largeur et constitue un espace charnière, de contact et d’échanges qui demeure difficilement contrôlable. Le Sahel représente la ligne de frontière, la transition  entre Méditerranée et Afrique subsaharienne, caractérisée par un climat très rude, sillonnée par les routes transahariennes ancrées dans le temps long de l’histoire et pouvant être assimilées à des routes maritimes dont il convient de s’assurer le contrôle afin de maîtriser les axes commerciaux.

 

Entre une population ethniquement très hétérogène -des touaregs, des peuls, ou encore des maures- ainsi que des pays peu organisés et administrés, on comprend rapidement les enjeux inhérents à ce territoire. Lorsque l’on parle du Sahel, on inclut les pays suivants : le Niger, Le Mali, la Mauritanie, le Tchad et le Soudan. Cependant, au sens large, plus de pays sont pris en compte dans la délimitation de ce territoire. 

Les facteurs d'instabilité

La fracture Nord-Sud, ancrée dans l’histoire et à la base d’une profonde conscience ethnico-tribale, a retardé la formation consensuelle de l’État-nation légué par la décolonisation. Les implications philosophiques de cette question sont lourdes de conséquences. 
De véritables murs d’incompréhension, parfois d’hostilité, ont longtemps bloqué la voie d’édification d’une véritable appropriation nationale, indispensable à l’émergence de l’État-nation. Tant que cette problématique ne sera pas posée de manière claire, sans dérobade, la solution durable à la stabilité de l’océan sahélien, et en particulier à la crise malienne, sera retardée.
 
Quels sont les principaux facteurs de cette instabilité régionale ?

1. D'abord l’impact du colonialisme, lequel sut jouer des rivalités des différents acteurs pour s’opposer à la poussée musulmane dominatrice venant du nord par un soutien tactique aux populations noires les plus vulnérables. La colonisation n’a fait qu’instrumentaliser les rivalités entre les différentes ethnies et les peurs des plus vulnérables qui cherchaient à échapper à la pratique de la traite et aux razzias, afin d’ancrer et de consolider son emprise. Lors de la décolonisation, les antagonismes, les rivalités et les haines « en sommeil » émergent, plongeant le théâtre sahélien dans des guerres civiles ou des conflits dits internes.

2. La défaillance politique et économique des États sahéliens, qui se révèlent incapables d’assumer les attributs de la souveraineté sur l’ensemble de leur territoire. Un des enjeux majeurs demeure la définition claire de frontières entre les Etats qui laisse un espace considérablement sous-administré, avec des Etats extrêmement pauvres ne coopérant quasiment pas entre eux. Les populations nomades, les groupes terroristes ainsi que les trafiquants d’armes ou de drogue bénéficient d’une liberté de circulation presque totale qui profite bien évidemment à leurs activités.

3. les sécheresses et l’insécurité alimentaire chronique ; la pauvreté, la précarité économique et sociale et le manque de perspective d’avenir pour une nombreuse jeunesse désœuvrée ; la forte croissance démographique (en 2040, la population sahélienne devrait doubler pour atteindre 150 millions d’habitants

 

4. La montée en puissance des trafics en tous genres, notamment du trafic de drogue en provenance d’Amérique Latine qui alimentent la prolifération d’armes légères, le terrorisme et la spéculation de l’Islam radicale incarnés essentiellement par AQMI

 

5. Les effets induits de la récente guerre en Libye qui a libéré des forces (dissémination d’armes sophistiquées, retour massif de réfugiés sahéliens et de Touaregs armés incorporés à l’armée de Kadhafi), aboutissant au réveil de la rébellion touareg au Mali.

 

6. Les ingérences des puissances extérieures, à commencer par le jeu trouble des puissances régionales qui instrumentalisent les facteurs de tension afin de mieux contrôler les richesses avérées et potentielles (pétrole, gaz, uranium, fer, or, cuivre, étain, bauxite, phosphate, manganèse, terres rares, etc.). L’appui du Qatar aux groupes islamistes témoigne d’un prolongement de la stratégie ayant déjà ciblé la Libye et la Syrie. La finalité de cette stratégie est de pousser jusqu’à son terme la logique politique du printemps arabe sur fond d’exploitation des richesses naturelles régionales.

 

7. L’islamisme radical qui apparaît avant tout comme étant le conduit par lequel s’enracine le crime organisé. Les mouvements se revendiquant de l’islamisme aspirent principalement à contrôler les routes et les trafics prospérant grâce aux vulnérabilités fragilisant l’espace sahélien. Au Sahel, la menace salafiste, réelle car porteuse d’un message politico-religieux, est « mise à la sauce » de toutes les problématiques locales : trafics en tous genres, recherche de rentes, rivalités politiques, conflits d’intérêts entre nomades et sédentaires (Arabes et Touaregs, Maures et Noirs), poids relatif de l’armée et des services de sécurité au sein des différents pays, appétits des grandes multinationales, rivalités entre Etats, etc. L’extrémisme islamiste s’affirme de plus en plus comme un ultime refuge face aux frustrations économiques, sociales et politiques et comme alternative au modèle démocratique occidental rejeté par les populations.

Maghreb-Sahel

Des destins liés

Maghreb et Sahel constituent une matrice travaillée par des forces historiques et des logiques communes: la sécurité de l’un est étroitement liée à la sécurité des autres. L’éclatement d’un foyer d’instabilité au Sahel menace systématiquement la stabilité et la sécurité des pays du Maghreb sur le long terme. Il n’est plus possible de poser la problématique du Maghreb en l’isolant du flanc sud sahélien. Les pays maghrébins, en transition démocratique ou en phase pré-révolutionnaire depuis 2011, s’exposent aux diverses menaces projetées par le vide sécuritaire caractérisant le flanc sud sahélien amplifié par l’insécurité libyenne.

L’Algérie, le Maroc, et antérieurement la Libye, développent des dispositifs diplomatiques, militaires et secrets obéissant à des calculs de neutralisation de l’autre. Les rivalités sont vives, l’enjeu étant de s’assurer le leadership sur un Sahel tourmenté et vulnérable, mais offrant de multiples opportunités. Tous en conviennent : l’édification du « Grand Maghreb » est une nécessité régionale et un impératif dans le contexte de la mondialisation et de la multiplication des initiatives d’intégrations dans le monde.

Sur fond de crise du Sahara occidental, Rabat se repositionne activement sur la scène internationale et sahélienne en se substituant à Kadhafi qui avait fait de son leadership dans la région une priorité. Les initiatives prises par le Roi Mohamed VI sur la lutte contre le changement climatique (COP 22) et les routes migratoires entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe en sont deux exemples probants. Le Maroc conteste ainsi l’hégémonie algérienne sur sa frontière sud, en soulignant les limites et les contradictions de la stratégie algérienne de lutte contre le terrorisme.

 

Alger, compte tenu de son histoire, de la présence de Touaregs sur son territoire et de ses ambitions, développe depuis de longues années une stratégie complexe. Sans nier l’existence au Sahel d’un noyau dur d’islamistes radicaux vecteurs d’un message politico-religieux et ayant recours au terrorisme et à la violence armée, une deuxième clef d’analyse posée à titre d’hypothèse permet de mieux cerner la portée d’AQMI au Maghreb et au Sahel. À l’intérieur de l’État algérien existent des centres de décision aux stratégies divergentes qui mènent une lutte interne pour le pouvoir, le contrôle des richesses nationales et des trafics illégaux. Les révolutions arabes ont marqué une rupture et alimenté la crainte de clans algériens, les amenant à développer des stratégies dilatoires destinées à assurer leur survie. A l’Est, les révolutions tunisienne et libyenne ; à l’ouest la pression marocaine du fait du conflit saharien ; et au sud le conflit malien induisant une militarisation croissante impliquant les puissances occidentales. Enfin, l’Algérie pressent que sa prise de participation dans l’exploration et l’exploitation des richesses énergétiques du Sahel l’expose à des stratégies hostiles des puissances occidentales. L’Algérie se perçoit pour toutes ces raisons en citadelle assiégée.

 

Parallèlement, la Libye s’érige en foyer terroriste doublé d’un sanctuaire pour les commandos qui menacent ouvertement la sécurité du Maghreb et du Sahel. Suite à l’opération Serval, les unités armées se sont regroupées - opérant un repli tactique - dans le sud libyen livré à l’anarchie. La problématique terroriste n’a été que déplacée, ouvrant la voie à une restructuration de la région pour une longue période d’instabilité. En effet, les groupes terroristes et mafieux bénéficient d’appuis au sein de la hiérarchie libyenne débordée, laquelle peine à affirmer son autorité sur les vastes étendues du sud. Le désert libyen est livré au chaos et à la loi de milices en rivalité pour le contrôle des armes et des trafics. L’opération Serval a également provoqué une réorientation du trafic de drogue en provenance d’Amérique latine, suivant un axe Nigéria-Niger-Libye, évitant le Mali étroitement surveillé. L’avenir de la Libye, proche des foyers de tension et de vulnérabilité que sont le Darfour, l’espace toubou, le fondamentalisme islamiste de Boko Haram et l’Egypte, est au cœur de l’équation sahélo-maghrébine. Dans l’éventualité d’une insurrection djihadiste en Egypte, le sud-ouest du pays pourrait constituer un nouveau foyer d’instabilité dans le prolongement du sud libyen vers le Tchad, la République centrafricaine (RCA) et le Nigéria. La contagion n’est qu’une question de temps, l’insécurité s’étant d’ores et déjà propagée dans la région tchado-nigériane à la faveur d’un continuum ethno-religieux transfrontalier favorable. Le Niger est en alerte. Enfin, l’effondrement de la RCA et l’instrumentalisation nouvelle du fait religieux opposant chrétiens et musulmans élargit l’espace de crise et nourrit les facteurs de tension.

Sources 

*Cahiers de la Méditerranée - La nouvelle géopolitique du Sahel, une opportunité pour refonder le partenariat euro- maghrébin ? - Aomar Baghzouz

*CAIRN - Crise Malienne : Quelques clefs pour comprendre - Jacques Fontaine, Addi Lahouari, Ahmed Henni

*ICG - Mali central : la fabrique d’une insurrection

*Résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies

*La situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne - Henri Plagnol et François Loncle

* Geopolitique du Sahel - Jean-Bernard Pinatel

* Études Internationales 126 - Dirassat Duwalya

Le Centre du Mali : épicentre du djihadisme ?-  Note d’Analyse du GRIP - Bounkary Sangare

 

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